ANDROGYNIE NOUVELLE FORME DE FÉMINITÉ
- ADMINISTRATOR
- 21 avr. 2022
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Le costume est un symbole de l’élégance et du pouvoir masculin. Il apporte force et confiance à celui qui le porte, c’est-à-dire à l’homme. Que ce passe-t-il alors s’il est attribué, ne serait-ce que le temps d’une photo, à la femme ? Grâce à quelques photographes la représentation de la femme en costume d’homme est étrangement courante, notamment Helmut Newton et Peter Lindbergh. Ces images, de prime abord percutantes, nous attirent par leur singularité, elles ne relèvent pas d’une représentation normative de la femme et s’attaquent au code pur et dur de la masculinité type qu’est le costume. Notre vision stricte et binaire du genre comme femme ou homme semble quelque peu bouleversée par ces photographies qui renversent nos habitudes genrées sur le vêtement.
Mais le vêtement définit-il le genre ? Dans la société nos vêtements sont attribués à un genre qui nous définit et permet de nous identifier. Mais le vêtement s’accompagne d’une attitude et d’un comportement type attribuable à un genre. Ces photographies remettent-elles en question notre notion de la féminité et du genre féminin ? Attribuer des caractéristiques visuelles codifiées comme masculines à une femme remet forcément en cause, de manière individuelle et subjective, notre vision de la femme et de ce que nous considérons comme féminin ou masculin. Ce qui nous mène à une autre interrogation : D’où vient la masculinité ? Peut-elle être attribuée aux femmes ?
Genre ambigu, le doute androgyne
Si ces photographies sont intéressantes à étudier, notamment dans la question du genre, c’est que d’une certaine manière elles sortent de l’ordinaire et sont percutantes. Mais pourquoi ?

Dans ces photographies, les femmes portent avec assurance un vêtement masculin. Si nous savons postérieurement que les modèles sont ici des femmes, ce n’est pas toujours évident de le déduire. C’est principalement le cas de la photographie de Newton. Le mannequin reste volontairement non identifiable. Si le genre est normalement assuré par le vêtement : on voit un costume, il s’agit donc d’un homme, ici cette affirmation est plus nuancée. Les traits féminins du mannequin ne sont pas camouflés, sa silhouette relève d’une « élégance féminine », elle est même maquillée. Cependant son assurance dégagée peut nous perdre. En effet, la posture passive et posée mais naturelle pourrait nous faire penser à une figure androgyne. Il s’agit ici d’une femme mais masculine, son genre est assumée comme féminin mais ne suit pas les codes types, et s’attribue à la place des symboles masculins qui la transforme dans son allure mais pas dans son genre.

Dans la photographie du mannequin seul de Lindbergh, il apparaît que le mannequin exagère les traits masculins via le port du costume. Celui-ci est grand, large, pas ajusté, le corps du modèle qui semble fin se perd dans le vêtement.. Le tailleur parfaitement ajusté était même agrémenté d’un nœud fluide à la place de la cravate ou du nœud papillon, alors qu’ici on y voit bien une cravate. Si on se porte précisément sur les codes du vêtement, il s'agit bien d’un homme, encore plus assurément que chez Newton. Cependant, la finesse du visage contraste avec ce corps vêtu d’homme. Le doute du genre propre à la figure androgyne, est encore mis en avant ici.

Dans la photographie du trio, ici le costume perd de son importance vu le cadrage plus serré sur le visage des modèles. Ici trois sujets à la fine moustache et aux vêtements plus ostentatoires et déclaratifs du genre masculin nous défient. Cette photographie est bien plus mise en scène, la féminité avérée des mannequins est camouflée et même déguisée derrière des costumes et des moustaches. Encore une fois, la féminité des visages trahit cet ensemble pourtant travaillé, bien plus que les premières photographies.
Si le code visuel du tailleur renvoie inconsciemment directement au genre masculin, notre besoin de catégoriser et d’identifier analyse et tente d’affirmer un genre face à ce doute androgyne. Ce réflexe et le témoignage de notre dépendance au genre, quand bien même l’émergence du genre neutre, non-binaire, fluid, est revendiqué aujourd’hui.
Des images percutantes dans notre rapport à la féminité
Voir ces femmes en costume d’homme offre une nouvelle féminité et un nouveau regard sur le genre féminin et sa représentation. Si ces photographies reprennent les codes masculins, elles se rattachent à une vision masculine stéréotypée. En effet, les photographies de Lindbergh sont les plus mises en scènes avec un décor, des poses presque théâtrales et une masculinisation qui relève presque du travestissement. Ce travestissement en question, employé ici comme exagération, ne fait que répondre à une vision stéréotypée des hommes. Ainsi, eux aussi subissent des clichés et le poids des codes genrés dans leur représentation.
L’homme, en suivant les stéréotypes de genre, n’est pas un être nuancé, mais brutal comme l’est le contraste entre noir et blanc. Cependant, le noir et blanc à un pouvoir esthétique qui rapproche ces photographies de l’élégance masculine : la simplicité. La sobriété du costume, son autosuffisance est renforcée par ce filtre. Si ces représentations sont d’un esthétisme assumé et masculin. Ces femmes photographiées dégagent une nouvelle forme de féminité. C’est notamment le cas chez Newton, le modèle, moins travestit et plus léger et discret dans sa masculinisation, offre une vision qui se rapproche de la femme fatale. Une femme assumée, forte et ultra-féminine. Ici, en portant un costume, elle dégage une assurance et une prestance masculine qui y correspond, tout en gardant ses traits féminins et en s’appropriant les codes de l’homme dandy. Elle n’est pas habillée en homme, elle est une femme portant le pouvoir, réservé aux hommes, sur ses épaules. Elle s’assume d’une nouvelle manière qui n’en perd pas moins en sensualité. Etonnement, la posture, nonchalante ou passive, revoit à une forme de sensualité, d’ordinaire réservée à la femme traditionnellement féminine comme dans l’imaginaire type de la femme fatale. Elle devient alors une femme fatale masculine.
Le vêtement comme manifestation du pouvoir masculin
Le costume, élégant et sobre, apporte une connotation directement liée au pouvoir masculin, et à l’autorité. Il déclenche un comportement lui-même démonstrateur de cette confiance et associé au vêtement masculin du costume. Si le costume est le symbole de l’homme élégant, il est aussi celui de l’homme puissant. On y associe alors autorité et pouvoir. Dans ces photographies, les femmes se sont attribué ce vêtement et ont hérité de son pouvoir. Cela est visible dans l’attitude des mannequins. En effet, chacune dégage une assurance masculine à plusieurs degrés et démonstrations. Dans la photographie du trio de Lindbergh, les femmes, glissées dans la peau de riches gangsters puissants, lancent un regard de défi. Regardant droit vers l'objectif, elles ne détournent pas le regard. Pour l’autre production de Lindbergh, notre femme-homme en costume d’affaire ne se cache pas derrière un masque de politesse ou de bienséance comme il serait demandé à une femme. Elle hurle, se fait entendre, débat avec son corps et les pieds écartés dans cet univers chaotique new-yorkais. Le décor de cette photographie, plus travaillé que les autres, nous plonge dans une véritable scène d’action en opposition avec les codes des femmes plus calmes et posées. Mais si ici elle débat et semble provoquer, elle reste propre, une main reste dans le pantalon tailleur comme pour garder une image élégante en toute circonstance. C’est le pouvoir du costume. Dans la photographie de Newton, pas de posture ou attitude provocatrice ou dominante, mais elle est ici passive. Le tailleur, d’une élégance inégalable, offre une assurance et une sérénité qui distancie cette femme. Elle semble alors inatteignable, inaccessible et supérieure à tout le monde.
Dépendance du pouvoir au vêtement
Le vêtement de pouvoir donne assurance, autorité et respect à celui qui le porte. Il dépend néanmoins des connotations et du genre du détenteur référé. Il fait naître des comportements qui dégagent cette confiance aux autres. Ce comportement n’est pourtant pas inné mais acquis selon le genre. Ces codes de représentations sont ancrés dans les normes de genre, tout comme les comportements qui y sont associés, bien que stéréotypés et exagérés. Le vêtement est associé à un genre et induit un comportement attendu. Ici, le costume est associé au genre masculin à qui on attribue force, agressivité, domination et pouvoir. Il est donc attendu d’un genre donné, une apparence vestimentaire en accord avec les codes, celui des femmes diffère des hommes.
Dans ces trois photographies le costume d’homme porté par des femmes perturbe les représentations types du genre féminin, surtout à des époques où ces codes étaient bien ancrés, et la révolution des genres pas autant d’actualité. Les codes acquis et prédéterminés de la masculinité attribués aux femmes donnent un nouveau genre de féminité. Ainsi, les normes de genre semblent interchangeables, les codes stéréotypés de la masculinité sont empruntables tout comme les références féminines sont attribuables aux hommes.
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