LES OUTILS D'UNE ALIÉNATION FÉMININE : MONA CHOLLET, BEAUTÉ FATALE (2012)
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- 3 mars 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 mars 2022
Beauté fatale s'intéresse aux injonctions à la beauté qui pèsent sur les femmes. Pour être belles, et donc acceptées, celles-ci doivent être minces, blanches, jeunes et répondre aux codes de la féminité établis socialement.

Ce livre porte sur les nouveaux mécanismes d’aliénation des femmes dans notre société occidentale et capitaliste en s’attaquant surtout aux domaines de la mode et de la beauté. L’auteur ouvre son analyse sur un constat essentiel : Lors de la deuxième vague féministe, années 70’s, en Occident, les femmes ont eu davantage accès aux professions, au capital intellectuel qui leur avaient été avant refusé. La forme actuelle d’aliénation des femmes se trouve dans le physique, la beauté, le corps, la mode, c’est en quelque sorte le prix que toute femme doit payer pour s’aventurer au dehors de la sphère domestique à laquelle elles étaient astreintes pendant bien (trop) longtemps.
Ce point de départ est fondateur car il va ancrer la réflexion sur le jugement de l’apparence des femmes qui est fait quotidiennement : il y a une opposition radicale dans la manière de vivre l’espace de rue pour une femme et pour un homme. Là où l’homme n’a pas vraiment conscience de son corps ni des gens qui évoluent autour de lui, la femme va en être totalement consciente, on va d’ailleurs le lui rappeler par des sifflements, des regards etc… Mona Chollet dénonce cette contrepartie que les femmes subissent aujourd’hui de manière hyper contemporaine et dont chacune est une cible potentielle.
L’inégalité des rôles esthétiques entre l’homme et la femme
Postulat de base : Les femmes sont davantage portées sur l’apparence que les hommes, même si cela tend à changer doucement. Or cette inégalité des rôles esthétiques est rarement dénoncée, il y a peu de lieux où l’on va aborder de manière sérieuse le fait que les hommes ont un spectre vestimentaire beaucoup plus restreint que les femmes, ou au contraire que les femmes doivent respecter des codes beaucoup plus acérés que les hommes. C’est le grand problème de la Mode, sans cesse dévaluée car elle fait partie d’un héritage culturel presque exclusivement féminin où le dit « féminin » renvoie à une légèreté, frivolité, et qui donc ne vaut pas la peine d’être considérée. L’industrie de la mode ou de la beauté, en d’autres termes le souci du paraître, est constamment boudé des chercheurs.
Justement, les féministes d’aujourd’hui ne savent plus quoi faire de cet héritage culturel « féminin » car il est « embarrassant » comme le dit Mona Chollet. En effet, il est embarrassant car il a prôné pendant des siècles que les femmes devaient faire attention à leur apparence, qu’il fallait respecter une norme de beauté selon un idéal fixé de manière complètement conjecturale et hasardeuse et donc qui va varier en fonction des époques. Ce carcan va provoquer d’énormes problèmes pour les femmes notamment de confiance en soi, d’adéquation à ces idéaux impossibles à atteindre et c’est donc pour cela que beaucoup de féministes ont voulu se débarrasser de cet héritage culturel qui pèse souvent trop lourd sur les épaules des femmes.
D’autres au contraire prennent la logique inverse en disant qu’il faut le revendiquer, en être fière et non pas rentrer dans cette sorte de mécanisme misogyne qui est toujours là pour humilier les femmes et leurs centres d’intérêts, finalement ce qui fait partie de leur histoire aussi.

Une définition du féminisme tronquée
Cette scission au sein du courant féministe s’explique aussi, selon Mona Chollet par une définition du féminisme actuel qui est totalement différente de celle des années 70’s. Aujourd’hui ce n’est plus du tout un acte radical inscrit dans une démarche politisée, mais qui s’assimile plutôt à une sorte de de développement personnel. Cette vision du féminisme provient du capitalisme car elle est devenue un argument de vente qui s’est peu à peu vidé de son sens et qui parfois peut être utilisé à tort et à travers. Mona Chollet prend l’exemple de la hit girl : qui serait une femme forte, féministe, mince, jolie qui travaille dans la mode. Cette « hit girl » serait l’incarnation de ce féminisme à l’allure d’un développement personnel.
Pssst : On approfondit ce sujet dans la semaine 2 !
Les diktats et symboles
Mona Chollet prend comme exemple de diktats celui de l’épilation féminine : Il renvoie au pubis de l’enfant, à une certaine docilité, une naïveté. Mais l’épilation fait aussi écho au monde de la mode et à son obsession de la propreté, cette nécessité d’aseptiser les moindres imperfections : plus de boutons, de poils, de rides, de bourlets… Tout ce qui n’est pas lisse n’a pas sa place. Cela est dû à la lumière avec laquelle on regarde les corps des femmes, la société a instauré une sorte de projecteur sur leurs corps.
« L’obsession de la visibilité » interdit aux femmes de « congédier le monde », dit Mona Chollet.
« Une femme disparait : l’obsession de la minceur »
Ici il s’agit d’aborder une théorie possible selon laquelle, toutes ces modifications esthétiques que l’on fait subir aux femmes reviennent aussi à les faire exister sans corps ou du moins au delà de leur corps, en les déresponsabilisant de leur propre individualité car elles doivent toutes correspondre à une norme de beauté qui homogénéisent tous les visages et corps féminins. C’est aussi une forme de contrôle des industries sur le corps féminin : le corps et le visage féminin sont considérés comme des objets publics qu’on peut marchander, améliorer, peaufiner, refaire. Il est alors investi par une industrie reposant sur la création de complexes. Cet eugénisme parvient à créer une matière qui est finalement plus qu'artificielle, notamment la chirurgie esthétique, le botox étant l’instrument eugénique par excellence.
Tout cela mène donc à une conformité plastique, raciste et grossophobe puisque l’idéal féminin le plus influent sur les réseaux sociaux aujourd’hui c’est le concept d’hyper-femelle : avoir des lèvres pulpeuses, un nez fin, de grands yeux en amandes, une peau assez matte mais pas trop non plus, des cheveux lisses et soyeux, une taille fine et un gros cul. In fine, cette conformité plastique va donc totalement désindividualiser les femmes, ce qui est aussi une manière d’escamoter leur personnalité, leur ascension sociale et de les maintenir dans une forme de réserve.
Ainsi, l’aliénation féminine a un nouveau visage : c’est celui de l’apparence. Lorsque l’on a plus ou moins de contrôle sur ce que gagnent les femmes, ce qu’elles peuvent faire, l’endroit où elles peuvent vivre, sur leurs études, on va s’en prendre à leur physique afin de les malmener.
Si on retourne les codes, la culture de l’apparence peut pourtant s’avérer être quelque chose dans lequel on peut s’épanouir, accepter de vivre avec notre corps. Cela pourrait être une solution pour dépasser tous les problèmes dont les femmes sont encore victimes aujourd’hui. (voir notre article sur le body positivisme)
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