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HYPERSEXUALISATION AMBIVALENTE : SUBIE OU OUTILS DE REVENDICATION ?


ELLEN VON UNWERTH : UNE HYPERSEXUALISATION SUBIE

L'ARTISTE :


Ellen Von Unwerth est une photographe allemande, toujours prolifique spécialisée notamment dans les photographies de charmes et érotiques. Après une carrière de mannequin, elle passe de l’autre côté de l’objectif, et connaît un grand succès. Elle travaille comme photographe pour des magazines célèbres, comme Vogue, Vanity Fair, mais aussi Wonderland, Paper, ainsi que Playboy. Son œuvre se rattache donc souvent à des corps féminins dénudés, mis en scènes. Le tout retranscrit dans une esthétique faisant référence à une imagerie du fantasme masculin. C'est généralement derrière ce thème qu’elle photographie de nombreuses vraiment très nombreuses célébrités : David Bowie, Rihanna, Beyoncé, Kate Moss, Alexa Demie, Naomi Campbell, Pamela Anderson, Claudia Schiffer, Kim Kardashian, Britney Spears mis aussi Camille Cottin ou Adèle Exarchopoulos.

FAIRE DU SEXY :


Cette photographe est une femme certes, mais ses photos ne transpirent pas la sororité ou le féminisme. La plupart de ces photographies représentent encore des modèles féminins parfois sexistes dignes du début des années 2000 ou avant. Son succès et même la tolérance de ces photos seraient probablement explicables par le fait qu’elle soit une femme. On peut se questionner sur la réception de ces photographies si elle était un homme. Ces photographies ne s’encombrent pas de quelconques revendications, elle le dit elle-même elle aime mettre en avant des femmes sexy, des modèles et objets de désir, des fantasmes imagés. Il s’agirait donc dans la majeure partie d’une hypersexualisation de corps subit, une reproduction des clichés d’un idéal féminin dirigé et sous la botte du désir masculin. Ce regard hétéronormé met en scène des moments quotidiens rendues “sexy” absolument pas naturels mais retravaillés. Le résultat peut sembler dégradant et irréaliste mais relève d’un idéal du beau et du séduisant.

ÉTUDE DE PHOTOGRAPHIES :


La première photographie est extraite d’un shooting fait pour le magazine Wonderland en 2022 pour la sortie de The Batman. On y voit donc l'interprète, Zoë Kravitz en Catwoman. Elle est ici animalisée, félinisée elle boit du lait comme chat à 4 pattes, le tout en culotte et résille avec un masque en latex, référence explicitement BDSM. Le côté félin renverrait facilement à une figure docile ou à l’inverse de femme fatale sauvage. Dans ce cas, on pencherait plutôt pour la première. L’objectif de la photo est clair : faire du sexy. Sa position soumise, dos cambré, la bouche entrouverte, tout ça renvoie directement à une iconographie très sexuelle, alors même que le sujet est vêtu.

La deuxième photographie Milk, est une photographie publiée dans Vogue US en 1995. Ici c’est Kate Moss qui boit du lait. On retrouve cette même action, de premier abord une action quotidienne et même innocente. Encore une fois, la scène n’est pas reconnue pour son réalisme criant, mais plus pour sa mise en scène très peu naturelle, déshumanisante, et objectifiante. De plus, les tons rose pâle, prudes peuvent faire références à un côté Barbie Girl, mais aussi enfantin. C’est la figure de la très jeune fille qui est mise en avant ici, et on pourrait y voir un fantasme et un désir pour des jeunes prépubères. Cette petitesse est renforcée par le cadrage et sa position, accroupie, prise de haut, encore une fois soumise, en position d’infériorité.

Enfin, la dernière photo date de 1994, prise à NY de Naomi Campbell. C’est toujours un détournement d’une scène quotidienne, décontextualisée de son naturel et sexualisée. Ici, le rasoir, élément évidemment indispensable pour transformer la femme en object de désir, est lui-même détourné. Sa position jambe écartée, le regard provoquant, ainsi que son hyperféminisation avec ses vêtements, reflètent le symbole de la femme fatale : Sulfureuse, assumée et sexuelle. On ajoute à ses pieds, d’ailleurs en talon, une bière, des cigarettes pour accentuer son côté badass.


Ici, on peut voir que les photographies n’ont pas besoin d'être nus pour que les corps soient sexualisés, voir même ici hypersexualisés. Ici, les modèles sont toujours vêtus, leur visage toujours apparent, et pourtant le rendu est une succession d’allusions sexuelles. La manipulation de ces mêmes corps féminins, frappe néanmoins d’autres artistes également photographes qui décident, eux, de prendre le problème à bras le corps en déguisant leurs intentions à travers des photos de femmes déshumanisées, pour mieux le dénoncer.


LE PROJET "FRESH MEAT"POUR DENONCER L'HYPERSEXUALISATION DE LA FEMME

SH Sadler : UN DUO D'ARTISTES TALENTUEUX

Julia SH née en Suède, est titulaire d'un BA et d'un MFA en beaux-arts de la Central Saint Martin's and Slade School of Fine art de Londres. Elle a toujours été fascinée par la forme humaine dans ses multiples manifestations, en particulier celles du corps féminins. Cet intérêt s'est accru depuis qu'elle a déménagé aux États-Unis, où la nudité, le corps et la façon dont nous le percevons sont des sujets très controversés. En 2019, elle a reçu le prix Julia Margaret Cameron du photographe de l'année ainsi que le prix du photographe d'art de l'année de l'IPA.

Nic Sadler est né au Royaume-Uni mais vit actuellement à Los Angeles où il vit et travaille toujours dans une variété de disciplines allant de la photographie à la réalisation de films et à la conception de produits. Il a remporté un Emmy pour son viseur d'appareil photo en 2018.

Le projet est donc une collaboration artistique entre Julia SH et Nic. Point commun majeur de ces deux artistes : Tous deux aiment photographier les femmes nues mais sans jamais les sexualiser.

UN CONSTAT INQUIETANT :


"Les images que nous prenons de nous-mêmes sont passées de moins de 20 par an à parfois des milliers par mois, dans certains cas", a déclaré le duo de photographes SH Sadler. Cette observation terrifiante de notre obsession de soi est à l'origine d'une série récente du couple de photographes, "par désir de renverser les normes de beauté actuelles en photographie et de faire face à la déshumanisation qu’elle a créé".


Le duo artistique a identifié trois observations clés de notre consommation de médias photographiques, fournissant les points de départ de cette série intitulée Fresh Meat. Tout d'abord, ils ont observé non seulement comment la "prolifération des médias sociaux a modifié la façon dont nous interagissons avec la culture et les uns avec les autres", mais aussi comment cela va de pair avec "comment les normes de beauté qui étaient auparavant appliquées aux modèles dans les magazines s'étendent désormais au des images présentées par le public", explique le duo. Mais il y a aussi eu un changement dans le concept de « photographie de beauté », un domaine de l'industrie auparavant "considéré comme une sorte d'art noir dans les années 90", qui est désormais accessible à tous grâce aux astuces d'angles particuliers et filtres numériques.


"Avec une quête incessante de jeunesse, d'admiration et une image de soi très maîtrisée, jusqu'où s'éloigne-t-on de la maxime selon laquelle la beauté n'est que superficielle ? Où est la limite entre ce qui est beau et ce qui est laid ?”

LE PROJET :


C'est ainsi qu'est née Fresh Meat ("Viande fraîche"), une série qui immortalise quatre jeunes mannequins, Adelina, Badwolfy, Miki Hamano et Eromomen, en plaçant leur visage derrière une couche de cellophane, comme dans les barquettes de steaks hachés ou d'émincé de poulet qu'on trouve au rayon viande du supermarché. Scotchée sur leur joue, une étiquette qui précise leur nom et indique leur prix tels des produits au rabais. Maquillées à outrance, couleurs vives, brunes, blondes, noires, asiatiques, leur bouche et leur nez écrasés contre le film plastique, les belles décapitées manquent d’air, ce qui symbolise les diktats de beauté oppressants auxquels beaucoup sont confrontées. Des photographies qui surprennent, choquent, font froid dans le dos... mais qui proposent un nouveau regard sur la beauté féminine. Cette série de clichés est aussi une contestation de la perception de la femme dans notre société actuelle.

"La culture contemporaine vénère une représentation déformée et non durable de la beauté, et c'est cela qui engendre une pression extrême chez les femmes",

explique la photographe Julia SH.




DISSONANCE DES REPRESENTATIONS ENTRE REEL ET ARTIFICIEL


Une crudité sans pareil mais surtout sans honte qui cherche à provoquer un public bien trop souvent bercé par la standardisation. En 2016, une enquête CSA révélait d’ailleurs que 82% des femmes se sentaient complexées par les images véhiculées par la communication.

Procédant de la sorte, Julia SH et Nick Sadler donnent à réfléchir sur la manière dont la surenchère d’images ultra léchées, scénarisées de l’ère selfie impacte la perception que nous avons de nous-même. L’esthétique photographique percute brutalement une vision totalement tordue de la beauté, entre volonté de libération et soumission aux impératifs de séduction. Écrasés dans leur emballage, totalement déshumanisés, les modèles de SH Sadler donnent à voir la manière dont nous sommes tous étouffés par des icônes inaccessibles car surréalistes.

Les photographies qui en résultent sont délibérément difficiles, mais tout à fait fascinantes, à regarder en raison du désir des photographes "de faire quelque chose de délibérément conflictuel, de provoquer le débat et d'embrasser la controverse". En effet, le regard du spectateur est naturellement très attiré par ces images, et à la fois assez bousculé, dérangé par ce qu’il voit.



« Notre objectif est de créer des images dramatiques qui obligent le spectateur à réévaluer le concept de beauté et à défier l'esthétique dominante".


SECRETS DE TOURNAGE ET DIFFICULTES :



Tournées en une seule journée avec cinq modèles et deux approches de maquillage, le principal défi de la maquilleuse Satya Linak était de créer et de gérer la qualité de maculage du maquillage une fois que chacun des modèles était enveloppé dans des poses. Pour ce faire, la pellicule plastique a été maintenue dans une plate-forme et le visage a été poussé dessus, explique le duo. Le maquillage a été appliqué de manière conventionnelle, puis recouvert d'un scellant pour aider à le maintenir en place. Lorsqu'il s'agissait de manipuler le plastique qui créerait l'effet désiré, le duo utilisait de l'eau et de la glycérine pour améliorer l'effet visuel “semblable à de la viande”, d'où le titre approprié de la série. La post-production a quand même fini par être la partie la plus longue du processus. Julia et Nic ont ensuite soigneusement composé chacune des photographies ensemble en combinant "des images du maquillage, en mélangeant soigneusement et en utilisant des reflets, à la fois de la viande enveloppée de plastique et de la pellicule plastique sur les visages des modèles".

Ainsi, avec ce projet, l’objectif est de créer des images dramatiques, de forcer le spectateur à réévaluer le concept de beauté et de remettre en question l’esthétique dominante, que l’on retrouve dans le travail de photographes comme Ellen Von Unwerth mais aussi chez beaucoup d’autres comme Helmut Newton, ou encore Jack Bridgland.


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