OCCUPE TOI DE TON CUL !
- ADMINISTRATOR
- 4 avr. 2022
- 6 min de lecture

WAP : un clip provocateur
Comme on aura pu le voir avec Aïda Bruyère notamment, l’hypersexualisation des corps féminins peut ne pas être subie. En effet, le résultat peut sembler visuellement similaire, mais il a pourtant une portée et une revendication qui en résulte. L’hypersexualisation devient un outil de réappropriation mais aussi de provocation. Dans la culture du rap, où la femme a très souvent subi une imagerie sexualisante, certaines chanteuses veulent inverser la tendance. Elles provoquent, brutalisent, poussent à l’extrême cette sexualisation pour faire de leur cul ou outil féministe. C’est le cas de Cardi B ou Megan Thee Stallion.
En 2020, la rappeuse Cardi B, avec à ses côtés en special guest Megan Thee Stallion, sort un nouveau clip pour son morceau WAP ( Wet Ass Pussy = Chatte humide). Cette déferlante de langage cru sur le désir féminin est dignement illustré d’images de féminité dépassant les codes habituels. Mais ce titre, et encore plus son clip, a provoqué beaucoup de débat aux USA questionnant ou critiquant la décence de ces images. Cette déferlante de culs, seins, bodies dénudés, insinuation verbale et visuelle au sexe choque. Si ce clip plus qu’un autre a fait autant débat, c’est pour l’extrême qu’elles représentent. Les deux rappeuses ont volontairement été loin, trop loin ?
Certains politiques conservateurs ont réagi violemment, comme le républicain James Bradley qui déclare avoir eu envie de se “verser de l’eau bénite dans les oreilles”. Ben Shapiro considère cette vidéo comme une régression pour la lutte féministe, tout comme les conservatrices Angela Stanton-King et DeAnna Lorraine qui affirment que le clip renvoi les femmes “100 ans” dans le passé. Bien d’autres politiques encore exprimeront leur choc et profonde aversion envers le clip mais aussi les chanteuses.
Pour d’autres c’est l'exact inverse. L’éditorialiste Jen Gunther ne s’étonne pas de ces critiques, car selon ces mots, « Notre société donne honte aux femmes qui parlent de leur corps ». Mais de son point de vue, WAP est un nouveau repère culturel. WAP devient alors une revendication féministe et non plus une ode à la féminité et à la sexualité des femmes. Parler des corps féminins serait donc indéniablement un acte féministe, qui est immédiatement recouvert de message politique et de revendication. Les culs déchainés et les paroles libérées des rappeuses servent dès lors d'argument et d'acte politique. Ce qui dérangerait tant alors, ce serait que des femmes s’expriment comme d’autres rappeurs le font, mais pour Gunther elle le confirme “c’est un formidable pas en avant”.

Le clip WAP, est une immersion dans le manoir de la féminité. Hypersexualisées et hyper féminisées, les femmes y règnent pourtant en sex-symbols revendiqués. Ces corps indomptables et sauvages illustrent la sensualité. Ces rappeuses, par la provocation, libèrent leur parole, leur sexualité mais aussi leur corps en retournant des codes subis en avantages.
Ce qui bouleverse tant c’est leur assurance et leur appropriation de leurs corps physiquement et verbalement. Cependant, le nombre de danseuses qui twerk en second plan autour de rappeurs ne semble plus si dérangeant. Leur objectif était simple : s’opposer à la femme soumise, se rebeller contre les stéréotypes. Mais leur prise de position brutale n’a pas convaincu unanimement.
THOT SHIT : La revanche de Megan

La spéciale guest de WAP, sortira en 2021 un clip THOT SHIT (Cette merde), dans lequel elle semble prendre sa revanche sur les politiques conservateurs ayant critiqué le titre WAP, mais aussi pour l’avoir assaillit de commentaires sexistes pour une autre vidéo BODY. Avec un ton brut et agressif mais aussi et surtout à l’aide d’une horde de cul qui twerkent sans répit et suivent cet homme politique, ce clip illustre l’utilisation des fesses comme outil de revendication. Il sert des codes qui s’apparente d’abord à la féminité qui encore une fois bascule sous un prisme féministe et politique. Être crue et provocante semble être la meilleure voie pour cette artiste de revendiquer sa féminité et ses droits. Les culs sont donc devenus politiques.
DOCUMENTAIRE BOOTYFULL : L'histoire des culs
Bootyful est le nouveau documentaire de la féministe et antiraciste Rokhaya Diallo sorti en décembre dernier.
À travers celui-ci, elle souhaite analyser les représentations des fesses dans les productions audiovisuelles. Des popotins XXL qui s’agitent en gros plan, de la chair, de la cellulite, des formes comme on en n’avait jamais vues dans le cinéma, la pub, la télé-réalité et les réseaux sociaux. Ou plutôt si, les fesses rondes, rebondies étaient l’apanage des femmes noires avec tout ce que cette association pouvait trimballer d’exotisme et de racisme. Des femmes objets meublant de leur cul magnifique des clips de rap chantés par des hommes.
Alors, cette tendance qui valorise les fesses est-elle le symbole des femmes qui assument leurs rondeurs ? Ou au contraire la perpétuation de la domination masculine à travers le déplacement d’une pression esthétique d’une partie du corps vers une autre ? Des grosses fesses, mais pas de ventre, des grosses fesses mais pas de vergetures… est-ce vraiment une libération quand il s’agit toujours d’avoir le corps parfait ?
ÉVOLUTION DES DIKTATS DE BEAUTÉ :
Aujourd'hui de Cardi B à Nicki Minaj, ou Kim Kardashian les fesses plantureuses sont à la mode. Mais on revient de loin. Pendant longtemps, la norme médiatique était un corps filiforme.
Rokhaya Diallo : "La réalisatrice Ovidie est interviewée dans notre documentaire. Elle raconte qu'elle appartient à cette génération qui a connu l'époque où il était honteux d'avoir des grosses fesses. Les adolescentes mettaient des pulls autour pour les dissimuler, car leurs postérieurs imposants n'étaient pas considérés comme jolis. Les seuls endroits où les formes plus développées étaient valorisées se trouvaient dans les communautés noires, soit africaines, soit afro-américaines ou afro-caribéennes.”
Ovidie raconte l'évolution des poses dans le domaine du porno. Sur les couvertures des magazines, jusque dans les années 2000, les poitrines étaient mises en avant. Mais maintenant, la forme et le volume des fesses sont de nouveaux arguments de vente.
De plus, cela fait très longtemps que dans le rap américain, on voit des femmes avec des fesses très imposantes ce qui était considéré comme quelque chose d'assez vulgaire. Ovidie insiste sur ce point dans le documentaire. Dans le porno aussi, jusque dans les années 1990/2000, les femmes autorisées à avoir des fesses assez rebondies étaient des femmes noires qui exerçaient dans une catégorie sous-valorisée. Elles sont vues avec dédain. Et ces fesses imposantes renvoient à l'exotisme et à l'animalisation issue d'une image coloniale assez ancienne. Pourtant, c’est via des figures non noires comme Jennifer Lopez, Kim Kardashian, ou encore Miley Cyrus, que cette nouvelle norme va être universalisée.
UN MODELE PLUS ARTIFICIEL QUE NATUREL :
Cette nouvelle norme enjoint les jeunes femmes à avoir des formes parfois inaccessibles. On a évoqué Kim Kardashian, cette influenceuse est l'une des femmes les plus suivies sur Instagram. Mais sa silhouette est impossible d'accès car elle a des hanches développées, et malgré ses grossesses, un ventre plat.
C'est ce que dit dans le documentaire une de nos interlocutrices voluptueuses : on ne recherche pas la grosseur de l'ensemble du corps, mais uniquement la grosseur des fesses. L’idéal est d’avoir une taille très fine. Un canon de beauté qui encourage des pratiques chirurgicales qui peuvent être très dangereuses comme le BBL (Brazilian Butt Lift) pratiqué par énormément de jeunes femmes.
Ainsi, cette nouvelle norme de beauté favorise la pression des jeunes femmes vis-à-vis de leur corps.
SYMBOLE DE LUTTE FEMINISTE INNATTENDU :
Les femmes ont décidé de récupérer leurs formes et d’en faire un lieu d’émancipation et d’affirmation de soi. Je suis ronde, j’ai des fesses énormes, et alors ? C’est moi qui en décide, c’est mon corps semblent clamer les sœurs Kardashian aux 300 millions d’abonnés qui les suivent dans le monde entier.
L’activiste ouvre alors le dialogue avec des intervenants parmi lesquels un rappeur, une chanteuse, une experte de la télé-réalité ou encore une actrice. Dans le même temps, des images de femmes exhibant leur postérieur et twerkant face caméra défilent. Et alors que la voix-off se questionne sur « ce nouvel avatar du sexisme », le fessier semble au contraire devenir un symbole de « la femme libre ». La danseuse Maïmouna Coulibaly, qui pratique et enseigne la « booty therapy », parle même de « pouvoir » et de « puissance ».
L'HYPERSEXUALISATION DES FESSES : SOUMISSION OU EMANCIPATION ?
Les femmes pour paraître belles, font des choix individuels, mais toujours selon des canons de beauté, des normes sociales de l'environnement dans lequel elles vivent. Mais le font-elles par choix réellement personnel ou pour attirer le regard masculin ? C'est toujours un mélange des deux. Nous faisons des choix esthétiques qui nous sont propres - mais en réalité, ils s'inscrivent dans un environnement social patriarcal.
Il est très compliqué pour les femmes d'échapper à ces normes. “La psychologue que j'ai interviewée dans le documentaire est justement spécialiste des effets sociaux, de cette pression sur la psychologie de ses patients et de ses patientes. Elle explique que dans les milieux lesbiens, dans les milieux où les femmes ne cherchent pas à séduire des hommes, la pression est moindre. Cela montre bien que le regard masculin, le patriarcat et le régime, on va dire dominant hétérosexuel, jouent un rôle, et écrasent d'une certaine manière la volonté parfois des femmes de tout simplement s'imposer."
Et vous, qu’en pensez-vous ? Les fesses, plutôt symbole revendicateur ou nouveau diktat ?
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