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NOS COUPS DE COEUR : FEMMES PHOTOGRAPHES ET LEURS RAPPORTS AUX CORPS



A travers l’étude de deux photographes femmes, d’époques mais aussi de genres différents nous voulons mettre en avant leur rapports qu’elles entretiennent avec les corps photographiés.

La revendication ou mise en avant des corps féminins par ces femmes photographes offre des images complètement divergentes mais pourtant qui nous touchent autant. Si nous les avons choisies, c'est pour leur regard pertinent que nous apprécions. Ce sont nos coups de cœur, nous tenons à les mettre en valeur, car leur travail n’était ou n’est pas encore reconnu.



LAURE ALBIN-GUILLOT : LA PURETE DES CORPS



Le nu comme genre photographique :

La photographie de nu est un genre de photographie représentant des corps humains dévêtus. Au 19e siècle, de nombreux artistes et les cours d'anatomie artistique de l'École des Beaux Arts utilisent la photographie comme un nouveau moyen d'étudier un modèle, le mouvement et l'action musculaire. Ainsi, ces photographies ne sortent pas des ateliers, les artistes les considèrent comme des documents, et non des réalisations artistiques. Si les mœurs de l’époque s'accommodent du dessin de nu, ils réprouvent totalement la photographie de nu. C’est au début du 20e siècle, que la photographie de nu s'expose enfin au même titre que les autres genres photographiques.

Cependant, dans la seconde moitié du 20e siècle, le nu connaît une diffusion importante liée aux médias de masse, et est souvent associée à l'érotisme ou à la catégorie de photos de charmes qui tendent vers l’hypersexualisation des corps, et plus spécifiquement des corps féminins. On peut donc se demander si la photographie de nu peut se détacher de cette tendance hypersexualisante et à l’inverse s'il est possible de faire une représentation sexuelle des corps sans faire usage de la photographie de nu. En d’autre termes on se demande si le nu est un objet exclusif ou nécessaire à la sexualisation des corps ?


L’artiste et son œuvre :


Cette artiste est née en 1879 dans un milieu bourgeois. Elle commence en 1922 à faire des portraits et des photos de mode. Peu connue du grand public aujourd'hui, Laure Albin-Guillot fut pourtant une photographe reconnue et influente dans les années 1930-1940, où elle réussit à imposer son style classique dans le portrait, la photographie publicitaire naissante et l'édition. Elle milite en faveur de la reconnaissance officielle de la photographie et envisage même en 1933 la création d’un Musée de la Photographie.

L'œuvre de Laure Albin-Guillot est essentiellement composée de nus, prenant la forme de portraits parfois partiels mais pour autant toujours très éloquents. En effet, ses photographies sont en noir et blanc, ce qui permet un jeu sur les contrastes de lumières. On trouve une importance du mouvement, des courbes dans le but de mettre en valeur la peau.

Comme on ne voit pas toujours les visages des modèles, on pourrait croire à un intérêt pour le corps uniquement, oubliant la singularité de la personne photographiée, mais il n’en est rien. C’est en fait une forme d’honnêteté que l’artiste revendique. légèrement mise en scène mais qui reste très naturelle. Ainsi, ici l’usage de la photographie de nu n’est pas du tout fétichisant, ni déshumanisant mais prend en compte le sujet.

Etudes de photographies :



Dans la première photographie intitulé : Etude de nu, Paris, vers 1930, on a un nu qui laisse entrevoir le bout d’un sein, un dos, les courbes des hanches d’une femme et aussi des poils sous ses aisselles. Bref une photo qui semble assez naturelle, notamment par le fait que le modèle ne semble pas poser, la photo paraît prise dans le feu de l’action. Laure Albin-Guillot présente là une œuvre sensuelle mais qui n’est pas vulgaire. Elle nous montre le nu dans son image originel c'est-à-dire une simple forme humaine, sans artifices, le corps est mis en avant sans être sexualisé.


Dans la deuxième photographie qui se nomme tout simplement : Nu, on a là un plan encore plus rapproché sur un corps toujours féminin. On peut voir un gros plan sur un sein, qui constitue l’objet principal de la photo, et une disparition totale du visage. La pose de la jeune femme rappelle le jointement des mains des religieuses, comme si elle priait. Ceci peut donc être vu comme une invitation à voir le nu photographique comme une élévation spirituelle. Même si cela paraît contradictoire, c’est pourtant l’idée de revenir à une forme “pure”, “primaire”, “originelle” du corps neutre, humain et de le “louer” dans toute sa simplicité.



L’artiste n’a pas fait que des nus féminins, elle serait d’ailleurs la première à exposer des nus masculins. Dans cette dernière photographie intitulé Nu masculin, on découvre un traitement égal de sa pratique photographique que ce soit des corps de femmes ou d’hommes. Là encore on a un corps morcelé, presque sans visage mais qui n’est pas pour autant privé de sentiment ou d’humanité. Ici on nous suggère la forme du pénis autant que celle du visage qui est bien là sans l’être vraiment. In fine, dans cette photo on trouve plus d'implicite que d'explicite.






On constate donc l’apparition d’un intermédiaire dans la photographie : sensuel mais pas vulgaire, intimiste mais pas personnel. On peut aussi qualifier ces photographies de “female gaze” avant l’heure, dans le sens où l’intégrité du sujet est respectée, qu’il est actif dans la photographie, ce n’est pas juste un corps sexy vide d’émotions. Ses nus rappellent les sculptures classiques, avec l’aspect laiteux de la peau évoquant le marbre. On voit bien avec Laure Albin-Guillot que le sujet photographié peut être nu sans pour autant que son image soit reliée à une suggestion sexuelle ou hypersexualisé, on est ici dans un nu poétique.




AÏDA BRUYERE : DES CORPS REVENDICATEURS


Une artiste revancharde :


Née à Dakar en 1995, Aïda Bruyère est une jeune artiste française vivant et travaillant à Paris. Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2020, elle fonde sa pratique sur l’image.

Elle a présenté son travail à La Station Gare des Mines (Paris, 2020) ainsi que dans différentes expositions collectives, parmi lesquelles “ Detroit City Guide Book » (Paris, 2019), ou encore « Dans les griffes du pangolin » ( Bruxelles, 2019). Elle est notamment lauréate du grand prix du 64e Salon de Montrouge.


Avec cette série, Aida souhaite rendre hommage aux danseuses de dancehall. Elle parle de cette danse comme d’une sorte de quasi rituel qui certes paraît sexuel de prime abord mais en fait va totalement au delà, il s’agit de s’assumer en tant que femme et notamment d’assumer ses fesses. Ainsi, par le biais de gros plans, ou les visages sont absents, le corps apparaît morcelé, fétichisé, Aida nous donne à voir le contraire !


Etude de photographies :


Si on s’intéresse à la première photographie, on a un gros plan sur un cul en culotte avec un collant résille au centre de l’image. La tenue ou la mise en scène est davantage provocante. Le rapport au corps est encore différent puisqu'il s’agit de danseuses, ce qui véhicule une certaine force en tant que les mouvements sont libérateurs, revendicateurs et assumés. La prise de vue est transgressive, elle choque. D’ailleurs, les modèles ne posent pas, l’artiste prend ses photos lors de répétitions de danse, donc les poses sont extraites directement du mouvement, elles sont naturelles. Le fond ainsi que l’image sont parsemés de touches de couleurs hyper flashy qui attaquent nos yeux, de la même manière que les culs peuvent brusquer ou attirer le regard.

De plus, on voit que Aida Bruyère joue sur les contradictions : la couleur rose renvoie au cliché de la jeune fille, et avec son œuvre il y a justement une sorte de renversement, de réappropriation de ces codes et de l’image qu’ils véhiculent. Autre contradiction : les fesses sont dénudées avec des résilles et un short court ce qui rend la photographie presque plus sexuelle que si le modèle était nue. Ainsi, la fesse devient autant attractive que répulsive, elle est un outil d’émancipation qui déjoue par-là son caractère sexuel / érotique.



Dans cette seconde photographie, le modèle est encore une fois en train d’effectuer un mouvement de danse : le twerk. On retrouve l’utilisation de couleur flashy avec ce vert percutant qui attire l’œil et peut rappeler les néons de boîtes de nuit. Ce jeu sur le contraste brutal au sein des couleurs témoigne de la volonté de secouer plutôt que d’adoucir de l’artiste. La modèle est en short assez court, avec un dos nus, des bottes translucides. La tenue est donc suggestive mais pas explicite car le modèle n’est pas nu. La pose aussi renvoie à une imagerie sexuelle puisque la jeune femme est à 4 pattes, sauf qu’ici le modèle est actif, elle fait ses propres choix, sa pose est voulue et non pas subie.

Cette dynamique, ce mouvement du corps prolonge une forme de militantisme : L’Empowerment des femmes. Ainsi Aida a utilisé des grands formats pour impressionner les spectateurs, pour que ces corps nous tombent dessus. Elle a fabriqué ces images à partir de photos imprimées sur des feuilles A4 scotchées. La technique est à l’image de cette danse qui vient de la rue, elle est assez “pauvre” comme le dit Aïda elle-même.


On voit bien à travers cette artiste photographe que, parfois le dénudé s’avère plus provocateur que le nu lui-même. Ici les corps sont hypersexualisés, séparés des sujets et vus comme des objets, des morceaux, et pourtant ces morceaux, les culs, sont pleinement réappropriés, revendiquées et assumés. Ainsi, la démarche de l’artiste est initiatrice mais pas subie. Cette mise en valeur des fesses, devient presque un nouveau symbole, argument de la lutte féministe. À travers son art, Aida Bruyère reprend le pouvoir, un pouvoir souvent arraché de force à la femme, dont le corps devient ici un levier d’action.



Si le nu est un genre qui par définition penche et flirte avec l’érotisme, les corps féminins n’ont en réalité pas besoin d’être nus pour être sexualisés. Et à l’inverse la photographie de nu, n'est pas nécessairement sexuelle ou aliénante pour le corps de la femme.


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